Le Pr Henri Joyeux et le père René Laurentin (tous deux français), en collaboration avec quelques autres professeurs et docteurs, ont publié en 1985 le livre "Études médicales et scientifiques sur les apparitions de Medjugorje" (éditions O.E.I.L.). Cet ouvrage a été traduit, entre autres, en croate (Duvno, 1986). Il y a été porté un regard critique par un membre de la commission diocésaine élargie (1984-1986), le père Nikola Bulat, dans son étude sur le phénomène de Medjugorje Istina će vas osloboditi, Nepouzdanost izvora i nedoličnost poruka. Studija o nekim međugorskim pitanjima ["La Vérité vous rendra libre. Le manque de fiabilité des sources et l'indécence des messages. Étude sur certains aspects de Medjugorje"] (1986), Mostar 2006, pp. 96-98.
Quelques mois après les examens conduits par le docteur Joyeux, des tests médicaux ultérieurs furent conduits par un groupe italien, coordonné par le docteur Luigi Frigerio, en 1985.
Le professeur Théophile Kammerer, à l'époque président du Comité médical international de Lourdes, après avoir étudié le dossier français et avoir pris connaissance des résultats obtenus par le groupe italien (grâce au rapport du Dr. Cherubino Trabucchi), a exposé ses propres observations critiques au cours d'une réunion du Comité en 1986. Nous avons demandé à Mme Pascale Leroy-Castillo, responsable des Archives et du patrimoine du sanctuaire de Notre Dame de Lourdes de nous communiquer le compte-rendu de cette conférence. Elle nous a répondu le 13 mai 2011, avec l'accord du Dr. Alessandro de Franciscis, responsable du Bureau médical de Lourdes, que la publication du contenu de la conférence du Pr Kammerer est autorisée, précisant qu'elle s'est tenue au cours de la réunion de septembre 1986 du dit Comité. Cette fois encore, nous remercions sincèrement les responsables du Comité médical international et des Archives et du patrimoine du sanctuaire de Notre Dame de Lourdes pour leur aimable autorisation.
Voici quelques passages de l'exposé du Pr Kammerer.
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Compte-rendu de la Réunion du Comité
Médical International de Lourdes
Cette année, comme il avait été décidé depuis longtemps, la Réunion du Comité a pu se tenir à Lourdes, les 20 et 21 Septembre 1986 […]
La présidence était assurée cette fois encore par Monseigneur Henri Donze, Évêque de Tarbes et Lourdes, et par le Professeur Théophile Kammerer, en présence de Monseigneur Jean Sahuquet, Coadjuteur de Mgr Danze.
Etaient présents, Messieurs les Professeurs et Docteurs, Juan Gibert Queralto et Domingo Espinos Perez, d’Espagne ; Erwin Theiss, d’Allemagne; St. John Dowling, d'Angleterre et Bernard Colvin, d'Ecosse.
De France, MM. Ies Professeurs et Docteurs : Jean-Louis Armand-Laroche, Charles Boudet, Charles Chassagnon, Pierre Mouren, Louis Revol, Jean Rodier, Jean Rousseau, André Trifaud, Théodore Mangiapan, outre Monsieur Kammerer. […]
Après quelques mots d'accueil de la part de Mgr H. Donze pour tous, et spécialement a l’intention des nouveaux membres présents, la parole revient au Pr Kammerer. […]
ÉTUDE CRITIQUE DES EXPLORATIONS MEDICALES
EFFECTUEES SUR LES VOYANTS DE MEDJUGORJE
Plusiers ouvrages ont paru ces dernières années sur les apparitions de Medjugorje, village de Yougoslavie (Herzégovine) qui est devenu depuis cinq ans un lieu de pèlerinage attirant des foules considérables. L’étude qui va suivre portera particulièrement sur l’expertise médicale publiée dans le livre du Professeur H. JOYEUX et de l’Abbé R. LAURENTIN : « Études médicales et scientifiques sur les apparitions de Medjugorje » (Editions de l’O.E.I.L., 1985). Des données complémentaires, de source italienne, ont été ajoutées grâce à l’obligente collaboration du Professeur Ch. TRABUCCHI. […]
Le Pr TRABUCCHI a bien voulu faire une recension détaillée d’un ouvrage paru en Italie : « Dossier scientifico su Medjugorje » écrit par L. FRIGERIO, G. MATTALIA, et L. BIANCHI (1986). […]
REFLEXIONS CRITIQUES
1. II faut d’abord souligner la qualité et le mérite des examenseffectués : ce sont les premiers qui aient été mis en oeuvre en pleine extase, au cours d'une apparition. Les experts ont triomphé de nombreux obstacles, le dernier et le plus important étant celui de la résistance des voyants - qui est bien compréhensible. Ces derniers se sont retranchés derrière l’autorisation de la Vierge, qui a signifié son accord, tantôt sa réponse négative : « Ce n’est pas nécessaire ». Les experts se sont alors inclinés.
2. Malgré tous les efforts déployés, ces examens restent sommaires quant à leur portée. Le plus important a été l’EEG : avec ses 8 électrodes en contact avec le cuir chevelu, pour explorer les quelques 50 milliards de neurones qui travaillent dans le cerveau, on peut en comparer la précision - très grossièrement - a celle de quelques avions qui, survolant Paris à une aItitude de I0.000 mètres, rendraient compte des activités de la ville et de ses habitants. Il faut savoir que l’EEG donne des informations précieuses pour des changements de régime globaux de l’activité cérébrale (sommeil, rêve par ex.) ou pour des perturbations concentrées en "foyer" : tumeurs cérébrales, ramollissements, épilepsie etc. Par contre, il ne fournit aucune donnée exploitable sur l’activité intellectuelle, les états émotionnels et affectifs, les troubles névrotiques, les psychoses. Il n’est pratiquement pas utilisé en psychiatrie en dehors d’une suspicion de lésion organique.
3. II n’empèche que l’ ensemble des techniques sophistiquées impressionnent le lecteur non averti et risquent de lui faire croire que, la preuve étant donnée de la normalité des voyants, les visions subjectives sont exclues et l’objectivité des apparitions du même coup prouvée scientifiquement. Le titre même du livre "Études médicales et scientifiques sur les apparitions de Medjugorje » tend déjà à induire cette conviction.
4. Ce qui est véritablement déconcertant, c’est de voir l’expertise se borner à ces examens instrumentaux auxquels sont joints quelques observations cliniques sommaires. Elle se présente comme un spécimen du réductionnisme neuro-biologique actuellement en vogue dans le milieu matérialiste des neuro-sciences. De toute évidence, les problèmes soulevés par des apparitions ou des visions se situent essentiellement dans le domaine psychologique ou psychopathologique et nécessitent le concours d’un psychiatre. L’équipe a cru pouvoir s’en dispenser, sans aucune explication : c'est une lacune grave. Quelques examens de psychiatres italiens ou yougoslaves sont cités : ils sont sommaires et consistent le plus souvent en tests ; ils ne permettent qu’un profil caractériel. On peut dire qu’il y a une sorte de court-circuit entre les données neuro-biologiques et l’approche spirituelle des phénomènes.
5. Toute observation psychiatrique nécessite plusieurs entretiens avec le sujet et éventuellement ses parents, consacrés à une écoute attentive
a) du curriculum vitae aussi détaillé que possible du sujet, remontant à sa première enfance, relevant maladies et traumatisme physiques ou psychiques, approfondissant les phases critiques, l’adaptation scolaire, les relations avec les camarades, l’entrée dans le monde du travail etc…
b) de l’histoire familiale, des relations entre les parents et entre les
générations, des éventuels conflits à tous Ies niveaux;
c) en l’occurence l’évolution religieuse de chacun des voyants était très importante : première initiation à la prière, formes de piété familiale, dévotions particulières, catéchèse reçue, presentation de la Bible etc., participation éventuelle a des pélerinages;
d) précisions sur I’état psychique de chacun dans les semaines et les jours qui ont précédé la première apparition; genèse du groupe de voyants.
L'observation attentive de chaque voyant au cours de ces entretiens, de son contact, de ses réactions émotionnelles, et tout le matériel d’informations recueilli auraient permis de parvenir à une connaissance assez précise de sa personnalité, de son évolution et de sa situation psychologique. Entreprise certes difficile, nécessitant un interprète, mais peut-être pas impossible et en tout cas indispensable pour une expertise concluante.
6) Chose curieuse, il se trouve qu’une seule donnée psychologique personnelle est mentionnée, non pas dans l’expertise mais dans le récit des premières apparitions, réduite a une simple allusion. Or elle concerne Ia première voyante, IVANKA, âgée de 15 ans : elle venait de perdre sa mère quelques semaines avant la première apparition (mai 198l). Et plus encore : c’est elle qui, dès la seconde apparition, posa à la Vierge le première question tout à fait personnelle, lui demandant des nouvelles de sa mère. Réponse de la Vierge : "Ta maman va bien, elle est avec moi. »
II se pourrait que la mort de la mère ait joué, sur le plan psychologique, un rôle important dans la génèse de la première vision d’Ivanka. Mais il ne saurait être question, bien entendu, de se prononcer à ce sujet sans plus ample informé. Chacun sait, en effet, que le deuil d’une mère, surtout pour une adolescente, peut être une épreuve affective profonde et perturbante.
Dans le cas d’Ivanka, il faudrait des informations précises sur la maladie (ou l’accident éventuel) et la mort de sa mère, sur la personnalité de cette dernière, la place qu’elle tenait dans la famille, sa vie religieuse et son comportement, les réactions produites par sa disparition etc.
Le « travail du deuil » fera d’ailleurs l’objet d’un développement ultérieur.
Cet exemple illustre l’intérêt primordial de l'approche psychologique dans les problèmes difficiles des visions et des apparitions. Ils seront présentés sur un plan général dans la deuxième partie de l’exposé.
Th. Kammerer
Septembre 1986
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